Stéphanie Frappart : à jamais la première

Mercredi 14 août dernier se tenait la finale de la Supercoupe d’Europe, où le vainqueur de la Ligue des Champions (Liverpool) recevait le vainqueur de l’Europa League (Chelsea). Au centre des débats, l’arbitre de la rencontre, Stéphanie Frappart. La française, après être devenue la première femme à arbitrer un match professionnel masculin, en Ligue 2 puis en Ligue 1, s’attaquait à la conquête de l’Europe. Retour sur la destinée de celle qui a déjà accompli ses plus beaux rêves.

 

Stéphanie Frappart est née le 14 décembre à Herblay-sur-Seine, dans le Val-d’Oise. Elle-même footballeuse, meneuse de jeu au CS Pierrelaye, elle se tourne vers l’arbitrage à l’âge de treize ans, afin de mieux connaître les Lois du Jeu, poussée par une exigence qui l’encourage à se dépasser depuis toujours. Sans pour autant délaisser totalement le ballon, elle commence par arbitrer dans les catégories jeunes du Val-d’Oise, avant de taper dans l’oeil des professionnels de l’arbitrage à l’aube de sa majorité. A l’occasion de ses dix-neuf ans, alors étudiante en STAPS, elle ouvre une première porte qui lui donne accès au maniement du sifflet en division d’honneur régionale. Dans les stades, elle essuie une flopée de remarques sexistes, ainsi que les réticences de certains membres de la Ligue de Paris, qui ne concevaient pas qu’une femme arbitre des hommes.

Mais Stéphanie Frappart, issue d’un milieu populaire, ne se cache pas et ne recule devant rien. C’est son abnégation et la rudesse du football amateur qui vont lui conférer un mental d’acier. Elle ne se plaint pas et travaille d’arrache-pied vers son acceptation, le fruit de nombreuses années d’un combat quotidien. Si, comme elle le déclarait il y a quelques années, “les joueurs ne vont pas aller moins vite car l’arbitre est une femme”, son ascension va susciter admiration et respect dans le petit monde du ballon rond. Et peut-être, espère-t-elle, susciter des vocations et pousser les petites filles à accomplir leurs rêves premiers.

FRAPPART LE RYTHME CRESCENDO

Pour atteindre un tel niveau de performance, Stéphanie Frappart a consenti de nombreux sacrifices et ne laisse rien au hasard. Par exemple, elle court entre douze et quatorze kilomètres, deux à trois fois par semaine. Soumise aux mêmes tests physiques que les hommes, elle est très régulièrement dans le peloton de tête. Elle prouve qu’elle est une athlète car les tests sont exigeants, composés essentiellement de répétitions de sprints, de fitness, d’endurance et d’un enchaînement de demi-tours difficile sur le plan cardiaque. De plus, des arbitres échouent régulièrement à ces tests. Enfin, elle prouve. À chacune de ses sorties médiatiques, Stéphanie Frappart met un point d’honneur à rappeler qu’elle ne veut pas être perçue comme la caution féminine de l’arbitrage français, qu’elle n’est pas ici par féminisation de la profession mais parce que son niveau de compétences est similaire à ses confrères masculins.

Nommée meilleur arbitre féminin lors des Trophées UNFP 2014, elle débute en Ligue 2 le 8 août de la même année et devient à cette occasion la première femme arbitre centrale d’un match professionnel masculin, volant la vedette des joueurs de Niort et de Brest le temps d’une soirée. Si les médias parlent d’elle comme d’une pionnière discrète devenue star, son arbitrage suscite rarement la polémique. Elle prépare ses matches en étudiant les caractéristiques des équipes qu’elle va arbitrer et, très vite, elle fait l’unanimité auprès des footballeurs et entraîneurs de Ligue 2. Sous son autorité naturelle, les réticences s’envolent et laissent place à plus de respect de la part de tous les acteurs du milieu. Après tout, en 2016, lors d’un match entre Nîmes et Valenciennes, elle n’a pas hésité au moment de dégainer de sa poche la carton rouge le plus rapide de l’histoire de la Ligue 2. Si certains footballeurs se demandent encore avant un match s’ils doivent dire Monsieur ou Madame l’arbitre, sa présence ne pose plus de problème. En cinq saisons en Ligue 2, elle sera régulièrement considérée comme la meilleure dans sa profession.

C’est donc logiquement que le 28 avril 2019, elle est désignée pour arbitrer le match de la 34e journée de Ligue 1 opposant l’Amiens SC au RC Strasbourg en tant qu’arbitre centrale. Elle devient ainsi la première femme à arbitrer un match de Ligue 1. Une désignation qui intervient peu de temps après sa nomination par la FIFA comme arbitre de la Coupe du Monde féminine de football 2019. Et bien entendu, Stéphanie Frappart sort une excellente prestation. Elle est promue par le Comité Exécutif de la Fédération Française de Football en tant qu’arbitre de Ligue 1 pour la saison 2019-2020 et devient ainsi la première arbitre Fédéral 1 de l’histoire du football français, ce qui va lui permettre de changer de dimension. Avec le statut d’arbitre Fédéral 1, elle devient une professionnelle à temps plein, rémunérée à hauteur de 6.000 euros bruts mensuel. Un salaire auquel il faut ajouter les primes de matches, payées près de 3.000 euros l’unité. Une année 2019 en apothéose qui fait suite à ses excellentes prestations lors des tournois féminins comme la Coupe du Monde 2015, les Jeux Olympiques d’été 2016 ou bien encore l’EURO 2017. Le 5 juillet 2019, la FIFA choisit la française pour arbitrer la finale de la Coupe du Monde 2019 entre les Etats-Unis et les Pays-Bas (2-0) se tenant deux jours plus tard à Lyon.

Avec soixante dix-sept matchs de Ligue 2, deux de Ligue 1, deux Coupes du Monde et un EURO féminins ainsi qu’un tournoi olympique à son compteur, Stéphanie Frappart est aujourd’hui la seule arbitre centrale au plus haut niveau en France sur les quelque 1.000 femmes en noir (sur plus de 26.000 arbitres). Elle pourrait être rejointe dans quelques années par d’autres arbitres, par exemple Clémence Goncalves, qui arbitre à la fois la D1 féminine et le championnat masculin régional en attendant de voir plus haut. Dans les cinq grands championnats, elles ne sont que deux à officier en tant qu’arbitre centrale ; Stéphanie Frappart et l’Allemande Bibiana Steinhaus. La France a peut-être enfin trouvé l’héritière de Michel Vautrot, seul Français désigné meilleur arbitre du monde en 1988 et en 1989.

SUPERSTÉPHANIE D’EUROPE

Après avoir réalisé plusieurs de ses rêves avec la Ligue 1 et la finale de la Coupe du Monde féminine, Stéphanie Frappart a donc officiée lors de la Supercoupe d’Europe masculine. Une rencontre de prestige qui oppose chaque année les vainqueurs de la Ligue des Champions et de la Ligue Europa, soit cette année Liverpool et Chelsea. Dans les annales des Coupes d’Europe, on ne retrouve la trace que d’une seule arbitre féminine, la Suissesse Nicole Petignat, qui avait officié à un échelon plus modeste lors de trois matches de qualification de Coupe de l’UEFA, entre 2004 et 2009. Cette désignation par l’UEFA est venue parachever une année 2019 historique pour Stéphanie Frappart. Pour ce match, la Française est assistée d’une équipe féminine, sa compatriote Manuela Nicolosi et l’Irlandaise Michelle O’Neal, qui l’accompagnaient également lors de la finale de la Coupe du Monde féminine, ainsi que de son compatriote Clément Turpin à l’assistance vidéo à l’arbitrage.

Ce match de gala exhale de facto un parfum de Premier League et est donc également une nouvelle marche pour la reconnaissance des femmes dans le football. Car, comme souvent, exercer une autorité constitue un des signes forts et symboliques de la conquête de l’égalité.
Une grande rencontre internationale de football masculin, avec quelques uns des plus grands joueurs du moment, sous les yeux de millions de téléspectateurs et de toute l’aristocratie du ballon rond. Les optimistes verront les prémices d’une évolution, d’autres du marketing. Le lieu, la Turquie de l’autocrate Erdogan, semble faire sens. La femme en noir ne reflète plus simplement la bataille mais impose au regard de tous l’exercice de l’autorité au nom du bien commun. Pour les femmes, qui demeurent malheureusement encore une minorité dans le football, ces places de “cadres” ont une valeur importante. Au même titre que le combat quotidien des clubs ou des sections féminines pour exister, ce match incarne une petite victoire non négligeable.

La prestation du corps arbitral fut saluée par Jürgen Klopp, le coach de Liverpool : “Je leur ai dit après le match que si nous avions joué comme elles ont officié, nous aurions gagné 6-0. Elles ont fait un bon match. Elles étaient vraiment très bonnes. Il y avait tellement de pression pour ce moment historique … Elles sont restées calmes et ont fait ce qu’elles avaient à faire. Je ne pourrais pas avoir plus de respect pour Stéphanie Frappart”.

Ivan GADAY

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