Elsa Bouteloup est secrétaire du Comité Départemental de Sport Adapté de la Vienne et directrice d’ALEPA, association de loisir, sport et culture à destination des personnes autistes. Dans les locaux du CDOS, après une réunion, elle nous parle de son parcours, de la place du Sport Adapté et de l’association ALEPA. Avec des valeurs militantes à hauteur des valeurs prônées par le sport.
Elsa, pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre rapport au sport ?
Je suis fille de deux professeurs d’EPS donc tout a commencé très tôt. J’ai toujours eu une attraction pour le sport de plein air et ai rarement fréquenté des clubs même si cela m’est arrivé, car l’esprit de compétition ne fait pas partie intégrante de mes valeurs. Le défi, le dépassement de soi oui, mais je trouve que la compétition révèle des choses chez les gens qui ne me plaisent pas donc je l’évite, d’où mon absence de licence à peu près toute ma vie en fait. Je me considère en revanche comme une personne sportive en règle générale.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours et comment est venue votre envie de vous investir auprès de personnes en situation de handicap ?
Mon parcours est assez classique : école, collège, lycée puis Faculté des Sciences du Sport par non-choix. J’ai été professeure d’EPS durant deux années dans une institution. Dans le cadre de mes études, j’ai par la suite rencontré une association dans laquelle je travaille désormais, qui propose des activités de loisir, sport et culture aux personnes autistes. J’ai rencontré cette association un peu par hasard et je m’y suis accrochée. Elle correspondait à mes valeurs du moment, en particulier la solidarité, pour une société un peu plus solidaire que celle dans laquelle nous vivons. Une association, cela voulait dire donner de son temps aux enfants en situation de handicap, donner de soi, monter des projets qui n’existaient pas jusqu’à présent et faciliter la vie de personnes qui avaient des situations de vie plus difficiles que la mienne. Je suis entrée au Comité Départemental de Sport Adapté via des rencontres sportives mixtes handicap-valides, qui étaient organisées à un moment donné par le CROS, les évènements “Réactis”. J’ai pu rencontrer les éducateurs qui étaient impliqués dans le CDSA à ce moment-là et j’ai eu envie de retourner dans le sport, duquel je m’étais éloignée.
Vous êtes l’ancienne Présidente du Comité Départemental de Sport Adapté, désormais secrétaire. Comment définiriez-vous le Sport Adapté ?
Je dirais que c’est malheureusement une fédération qui doit exister puisque le sport inclusif ou les sections Sport Adapté dans les clubs n’existent pas. Je dis malheureusement car pour moi, la société actuelle n’est pas encore assez forte pour l’intégrer dans les structures de droit commun. Les activités physiques sont adaptées, dont l’environnement et la posture de l’accompagnateur et donc adaptées aux personnes qui ont des différences de fonctionnement psychiques, cognitives et mentales.
Quelles sont vos missions au sein du Comité et où en est le développement du Sport Adapté dans le département ?
Je ne suis plus éducatrice sportive dans une institution. Je ne “bénéficie” pas des actions directement. Je suis plus dans le Comité Directeur pour étayer la fonction employeur au sein du Comité Départemental. Je suis un peu têtue (rires) et pour moi un projet associatif ou fédéral a un sens et on ne doit pas s’en éloigner. Dans n’importe quelle action bénévole et dans mon travail, ce à quoi je tiens est que les valeurs portées soit réellement mises en application sur le terrain et d’autre part, comme dans mon travail j’ai pas mal de fonctions de gestion d’équipe, je retranscris certaines choses dans le Comité. Ténacité et persévérance sont des maîtres-mots dans le monde associatif et il me tient à coeur d’essayer de changer un petit peu les mentalités avec toute mon énergie. Pour ce qui est du développement, sans critique aucune, le Comité Départemental de Sport Adapté s’est développé au fil des demandes et des envies, projets. Il a pu ressembler et ressemble encore un petit peu trop à un club sportif adapté. Par exemple, le Comité de Volleyball n’est pas un club de volleyball mais un Comité qui doit créer un réseau, soutenir les clubs, etc. Le Comité Départemental de Sport Adapté de la Vienne, il est entrain de renforcer son réseau, son maillage sur le territoire, de soutenir les clubs ordinaires qui veulent monter une section de Sport Adapté mais il est encore et aussi un club sportif qui propose des calendriers, des championnats, etc. Il se développe et clairement, nous sommes passé d’un temps partiel à deux temps pleins, deux salariés aujourd’hui plus un fonctionnement avec le groupement d’employeur, le GESAS de la Vienne. En termes d’activité, c’est plus fort qu’autrefois, en termes de réseau et de rôle de Comité c’est de plus en plus présent donc il va dans le bon sens. Après, on reste rattachés aux aides financières, aux dispositifs dans lesquels on peut et a le temps de rentrer. Il est donc en bonne voie avec les moyens humains et financiers actuels.
Quelle est l’état de la “médiatisation” du Sport Adapté au niveau national ?
Comme le Sport Adapté concerne des personnes en déficience mentale et cognitive, la médiatisation est moins aisée que le Handisport par exemple, sans qu’il n’y ait aucune concurrence ou critique entre les deux structures. C’est plus simple de communiquer autour de l’aménagement ou des exploits d’une personne physiquement ou sensoriellement affectée que d’une personne qui est mentalement affectée. Comme c’est moins facile à médiatiser, c’est moins médiatisé, à mon sens.
Est-ce que vous pensez que les sportifs de Sport Adapté ont les mêmes droits et devoirs que les sportifs de fédérations traditionnelles ?
Pour moi, oui, car ce sont des citoyens à part entière. Après, il faut prendre en compte leur niveau de développement intellectuel. Du coup, les consignes ou les règles, droits ou devoirs, doivent être énoncés d’une autre manière qui peut être un mode visuel … en tout cas qui soit compréhensible à leur niveau de développement propre. Dans la déficience mentale et cognitive, il y a tout un spectre et le niveau de compréhension n’est pas le même de droite à gauche du spectre. C’est peut-être là que l’on peut pointer la difficulté. Ils ont les mêmes droits et devoirs s’ils ont conscience de quels sont leurs droits et leurs devoirs.
Pensez-vous que Paris 2024 puisse accélérer l’intégration des personnes atteintes de handicap mental ?
Sauf erreur de ma part, il va y avoir les Jeux Olympiques, les Jeux Paralympiques mais pas les Jeux qui s’appellent les Global Games, dédiés au handicap mental et cognitif. Sauf si une politique spécifique est mise en place pour montrer à ce moment-là le Sport Adapté, il n’y a malheureusement pas de raison que cela fasse bouger les choses. Pour moi, il y a deux portes d’entrée : soit la Fédération de Sport Adapté réclame une place et on lui accorde ou pas, soit l’État ouvre une porte que prendra la Fédération ou pas. C’est toujours une question de qui doit faire le premier pas pour exister à un moment donnée sur un événement d’une si grande ampleur. Il faudrait poser la question au CDSA.
Vous êtes Directrice de l’ALEPA. Quel est le but de cette association ?
ALEPA signifie Activités et Loisirs pour Personnes avec Autisme. Notre champ d’action c’est le loisir, le sport et la culture. Nous avons donc trois pôles d’activités. Un premier pôle d’activité de face-à-face public et ouvert aux personnes autistes, à leurs familles mais aussi au tout-public, donc handicap et personnes valides pour favoriser la rencontre et la mixité des publics. Un second pôle en direction des structures spécialisées ou de droit commun pour les prestations de formation, sensibilisation à la différence, du partage de ressources et d’outils spécifiques. Enfin, un dernier pôle, le pôle vie associative, avec énormément de bénévolat, d’engagement, de mobilisation mais aussi des temps conviviaux, festivals et soirées de solidarité qui permettent le ciment d’une action militante. Nous avons deux éducateurs sportifs à temps plein pour des pratiques individuelles ou collectives et des pratiques d’inclusion dans les clubs sportifs de la Vienne.
Quelles sont les difficultés principales qui sont rencontrées par les pratiquants et que leur apporte le Sport Adapté ?
Malheureusement il y a des difficultés, mais c’est compréhensible car les clubs n’ont pas forcément les moyens financiers, humains et la connaissance de ces publics particuliers. Leur difficulté principale est de ne pas pouvoir intégrer les clubs ordinaires. La seconde est que certains d’entre eux s’interdisent de franchir la porte des clubs, car leur histoire leur a fait vivre trop de refus, parce qu’ils ne se sentent pas capables, parce qu’ils pensent que ce n’est pas fait pour eux. Je ne connais pas les raisons exactes mais d’une part les structures existantes ne sont pas toujours en mesure de les accueillir de la bonne manière mais aussi parfois les personnes handicapées ou les familles se freinent à intégrer un milieu ordinaire, par méconnaissance de part et d’autre. Le sport de manière générale leur apporte ce qu’il apporte à chacun. C’est-à-dire du développement de capacités physiques mais aussi tout le côté social que peut avoir le sport. Le Sport Adapté en particulier apporte des contenus et supports de consignes, d’espace, de temps amenés d’une autre manière, adaptée à leur niveau de développement. Cela peut être plus de support visuel, qui donne des indications sans que cela ne passe par le verbal, car les personnes de cette fédération peuvent avoir des capacités de compréhension limitées. C’est beaucoup d’aménagements de l’environnement et la connaissance par les encadrants des difficultés potentielles que peuvent avoir ces personnes.
J’ai pu voir, lors de mon Service Civique effectué l’année dernière à l’UNSS 86, assister à certaines manifestations liées au Sport Adapté. Ces initiatives promeuvent la différence par le sport, par le biais de valeurs que sont le respect et la tolérance.
L’UNSS a très largement ouvert ses portes à la pratique de personnes relevant à la base du Sport Adapté. Certains éducateurs sportifs des institutions ne fréquentent plus le calendrier d’activités spécifiques du CDSA car ils vont sur le calendrier UNSS. A part cette porte ouverte à l’inclusion, je n’ai pas de connaissances pointues sur l’UNSS mais c’est en tout cas une très belle politique.
De manière générale, la compréhension de l’autisme évolue avec les années. Il y a-t-il des différences de la pratique sportive en fonction de la déficience, si elle est prototypique ou secondaire ?
La Fédération du Sport Adapté a des catégories pour la compétition. Les personnes évoluent en D1, D2, D3 en fonction de leurs capacités cognitives et physiques et non de leur âge. Elles doivent être évaluées avant toute compétition sportive. Toutes les personnes avec une déficience ne sont pas dans la même catégorie sportive, comme dans le milieu ordinaire.
Souvent, il a la question de la double discrimination pour la femme en situation de handicap.
Cela peut l’être mais c’est parce que le contexte de la discrimination fait que naître femme est une discrimination. C’est une première revendication. Je ne saurais pas forcément répondre au fait qu’être une femme handicapée discrimine davantage. Dans le Sport Adapté, on voit qu’au niveau de la pratique on est entre un tiers et un quart de licenciées femmes. Est-ce que c’est parce que ce sont des femmes, qu’elles n’ont pas envie ou qu’elles font du sport qui n’est pas licenciable ? Je fais du sport plusieurs fois par semaine, je viens en vélo, je me considère sportive mais, pour l’Etat, je ne suis pas sportive car je ne suis pas licenciée et beaucoup de femmes sont dans cette situation, sportives mais non-identifiées comme des femmes sportives car elles ne sont pas licenciées donc je ne sais pas si cette question de discrimination est réelle, si les chiffres de l’Etat sont justes sur le nombre de pratiquantes. J’ai seulement des interrogations mais pour moi ce n’est pas vrai. Au fond, le plus important est que le plus de personnes possible puissent pratiquer si c’est de cela qu’elles ont besoin.
Pour conclure, comment faire pour que le Sport Adapté soit tout aussi beau et respecté que tout autre forme de sport ?
Je crois que cela doit passer par la connaissance du grand public du fait que cela existe. Le Handisport, le Sport Adapté, cela fonctionnait très en marge, via des demandes parallèles. Il y a désormais des passerelles qui commencent à se créer et j’espère qu’un jour nous pourrons tout faire ensemble. Cela nécessite donc une meilleure connaissance et peut-être également un complément de formation dans toutes les formations qui forment les éducateurs sportifs, afin de les sensibiliser sur le fait que des particularités chez certaines personnes existent, et cela marche aussi pour la maladie, la rémission, la rééducation, etc. En tout cas il faut prendre en compte que le sport s’adresse à tous et la tolérance, l’adaptation deviendront un réflexe et dans cette utopie, le Sport Adapté n’existera même plus. Après, mais il faut des moyens et des compétences, nous ne sommes pas assez présents sur la place publique, car plus on fait d’actions visibles, plus les gens s’habituent et se confrontent à cela puis se disent que finalement tout se passe très bien et qu’il n’y a aucune crainte à avoir. De plus, les personnes qui arrivent sur les Championnats de France de Sport Adapté ont un réel niveau. Le Pôle France au CREPS de Poitiers, allez jouer au tennis de table avec eux, ce n’est pas l’image que peut s’en faire un grand public qui n’est pas du tout averti. Le plus dur reste de montrer le Sport Adapté sans que cela ne devienne un cabinet des curiosités. Ce sont des sportifs ou des handicapés qui font du sport ? Pour moi, ce sont des sportifs. Heureusement, les mentalités évoluent et il y a une belle dynamique autour de cela ces dernières années.
Propos recueillis par Ivan GADAY.