Le rugby à XV féminin possède une histoire propre en raison des tentatives masculines pour exclure les femmes du jeu. Aujourd’hui, le rugby à XV féminin est loin de posséder la même considération que son homologue masculin, malgré les évolutions constatées. Depuis son renouveau qui débute dans les années 1980, cette discipline peut organiser des compétitions calquées sur le modèle masculin. En Europe, ce mouvement est encadré par les fédérations nationales tandis qu’aux États-Unis, c’est le sport scolaire et universitaire qui rend possible cette évolution. Disposant d’une base de joueuses considérable de plusieurs milliers de pratiquantes, il est logique de voir émerger une équipe nationale américaine de premier plan qui remporte la première Coupe du Monde, en 1991 (non officielle). Il faut attendre la troisième Coupe du Monde, en 1998, pour qu’elle soit reconnue par l’IRB. L’Angleterre, vainqueur des Coupes du Monde 1994 et 2014, championne d’Europe avec onze Grands Chelems en Tournoi des Six Nations, et plus encore la Nouvelle-Zélande, cinq fois championne du monde, dominent le rugby à XV féminin de cette dernière décennie. Le Canada ou la France, font bonne figure. Retour sur la mise en pratique du rugby féminin en France, son évolution et les récents résultats de l’Équipe de France.
Le colonel Crespin, directeur national de l’éducation physique et des sports, annonçait la couleur en 1969 : “Le rugby est contre-indiqué pour les filles et les femmes pour des raisons physiologiques évidentes. Cette pratique présente des dangers sur le plan physique et sur le plan moral … Aussi, je vous demande instamment de ne pas aider les équipes de rugby féminin …”.
Les premières équipes de rugby féminin ont été créées en France par de jeunes lycéennes ou universitaires, en 1965. Les premières équipes complètes à XV étaient alors souvent entraînées par des équipes masculines. La pratique féminine du rugby à XV féminin suit les mêmes règles que celui pratiqué par les hommes. Le premier match, organisé devant des milliers de spectateurs, a été joué par le Toulouse Fémina Sports, le 1er mai 1968, à Toulouse. La capitaine de l’équipe était Isabelle Navarro, alors étudiante à l’université de Toulouse-Rangueil. Les premières équipes féminines s’organisent progressivement en association loi 1901 et, à la demande de ces clubs, l’Association française de Rugby Féminin (AFRF) voit le jour en 1970, avec des statuts officiellement déclarés en préfecture de Toulouse. Grâce à cette nouvelle fédération, le premier championnat de rugby féminin est organisé en 1971, soit plus de quatre vingt ans après le premier championnat de rugby masculin.
Dès 1973, l’AFRF ouvre le dialogue avec la Fédération Française de Rugby, mais il faudra attendre le 26 octobre 1982 pour qu’un protocole d’accord soit conclu. L’Équipe de France de rugby à XV féminin a disputé son premier match officiel le 13 juin 1982 à Ultrecht, l’emportant de quatre points à zéro face aux Pays-Bas. Le 23 mai 1984, l’Association Française de Rugby Féminin devient la Fédération française de Rugby Féminin. Cette discipline sera finalement intégrée sous la forme d’une Commission Féminine au sein de la Fédération française de Rugby en juillet 1989, par le Président Albert Ferrasse. Depuis, les équipes et clubs féminins font partie intégrante de la FFR. En 1995, Wanda Noury est la première femme élue au Comité Directeur de la FFR, où elle est en charge de la Commission Féminine et de l’équipe de France féminine dont elle est également le manager. Le rugby féminin est décomposé en trois catégories selon l’âge des joueuses, à savoir les moins de 15 ans (minimes féminines), les moins de 18 ans (cadettes) et les plus de 18 ans (seniors).
UN CHAMPIONNAT AU TOP
Le championnat de France de rugby à XV féminin, dénommé Élite 1 depuis 2018, est une compétition annuelle mettant aux prises les meilleurs clubs de rugby à XV féminin en France. Créé en 1972, sous l’égide de l’AFRF, avant d’être pris en charge par la FFRF. Depuis 1989, c’est la Fédération française de rugby qui l’organise. Il est remporté lors de la première saison par la section féminine du club omnisports de l’ASVEL. Le championnat se déroule en deux phases : une phase dite de qualification, qui est disputée par toutes les équipes, et une phase finale qui se joue par élimination directe.
En 2014, la FFR lance une grande réforme du rugby féminin en France provoquant la colère de l’ensemble des dirigeants et joueuses, ces derniers n’ayant pas été consultés au préalable. Ce nouveau championnat, voit aussi la réduction des clubs de l’élite passant de dix clubs à huit clubs. Le championnat prend ainsi la dénomination de Top 8. Quelques jours avant la finale du championnat 2014-2015, la FFR dévoile le premier logo de la compétition, créé pour renforcer l’identité et la visibilité de la compétition. De plus, celle-ci est pour la première fois diffusée en direct à la télévision, où le club héraultais du Montpellier Hérault rugby domine le Lille Métropole RC villeneuvois 17 à 3. Cela permet à Montpellier de réaliser un triplé moins de dix ans après celui de Toulouse, laissant le club nordiste sur sa faim comme deux ans auparavant. En 2018, le championnat passe d’une poule unique de huit clubs à deux poules de seize. Les huit meilleurs clubs sont qualifiés pour la phase finale tandis que les huit derniers jouent une phase de maintien. Depuis la saison 2018-2019, deux clubs sont relégués en Élite 2 à l’issue du championnat. Comme chez les hommes, le club le plus titré de France est toulousain : il s’agit du Toulouse Fémina Sports, avec neuf titres de championnes de France, en 1975, 1976, 1977, 1978, 1979, 1980, 1982, 1984 et 1985. Le Montpellier RC est, lui, septuple vainqueur du titre (2007, 2010, 2013, 2014, 2015, 2017 et 2018). Depuis 2018 également, la meilleure joueuse du championnat est récompensée lors de la Nuit du rugby. Le championnat de France féminin est couvert dans les colonnes du Midi olympique, journal bi-hebdomadaire français spécialisé dans le rugby et du quotidien L’Équipe, ainsi que dans les pages sports des quotidiens régionaux, notamment dans le Sud de la France.
Certains clubs témoignent de l’origine universitaire du rugby féminin : Grenoble, Rouen ou Bordeaux. Depuis un an, de nombreux clubs commencent à être phagocytés par des clubs pro du CAC 14 ou de la Pro D2 : La Palice par le Stade Rochelais, Sassenage par le FCG ; Romagnat par l’ASM et Nanterre par le Racing. D’autres pourraient suivre, mais pour le moment, ils résistent : Blagnac-St Orens par le stade Toulousain, La Valette par le RCT, Lons par Pau, Le Grenoble U C par le FCG ou encore l’AS Bayonne par l’Aviron. Le rugby féminin est présent dans quasiment toutes les régions de France. Cette caractéristique la distingue du rugby masculin. Le Sud-Ouest est représenté par huit clubs (si l’on tient compte de La Rochelle) ; le Bassin parisien par quatre clubs ; la région Rhône Alpes, ainsi que le Languedoc Roussillon par trois clubs ; la Normandie par deux clubs. Mais l’Auvergne, la Provence, la Bretagne et le Nord comptent toutes un club. Les seules grandes régions absentes du rugby féminin d’élite sont l’Alsace et le nord-est de la France.
L’ÉQUIPE DE FRANCE D’HIER, POUR AUJOURD’HUI ET DEMAIN
L’Equipe de France féminine de rugby à XV, ou XV de France féminin de son nom officiel, est constituée par une sélection des meilleures joueuses françaises sous l’égide de la FFR. Au 21 janvier 2019, le XV de France féminin occupe la troisième place au classement des équipes nationales de rugby.
Par la volonté d’Henry Fléchon, président de l’Association française de rugby féminin et son équipe dirigeante, de voir les premiers échanges internationaux entre clubs se poursuivre par des rencontres internationales, le premier match a eu lieu aux Pays-Bas en 1982. La France, encadrée par Leterre et Izoard, l’emporte à Utrecht. Si la dotation en équipement offerte par la FFR est remise par Mr. Bory, membre de la Fédération, les filles devront coudre un écusson tricolore. Les Italiennes puis les Britanniques constituent leur équipe nationale. Une Coupe d’Europe avec ces quatre formations a lieu à Bourg en Bresse en 1988 et les tricolores remportent le trophée en l’honneur de Henry Fléchon, décédé en 1986. Après l’intégration des féminines à la FFR en juillet 1989, les membres du dernier comité directeur de la FFRF font pression sur la FFR pour qu’une équipe de France participe à la première Coupe du Monde à Cardiff, en 1991. Wanda Noury est le manager alors que Céline Bernard et Jean-Pierre Puidebois encadrent l’équipe, qui se classe troisième. En 1999, un Tournoi des Cinq nations est créé, puis avec six nations. Un Championnat d’Europe est également disputé. La France a eu également par période une Équipe de France A, mais l’effort est désormais porté sur la sélection de moins de 20 ans. Une Équipe de France à VII dispute également des rencontres internationales.
En 2016, un nouveau staff est composé avec Nathalie Janvier, Karl Janik, Jean-Michel Gonzalez et Philippe Laurent. Les Bleues remportent le Tournoi des Six Nations 2016 après avoir battu l’Angleterre à Vannes sur le score de 17-12. Au cours de ce tournoi, elles ne concèdent qu’une seule défaite, face au Pays de Galles (18-8). À la fin de l’année 2016, le duo d’entraîneurs formé par Jean-Michel Gonzalez et Philippe Laurent est renvoyé par la nouvelle direction de la FFR. Cette période voit aussi le retour, au poste de manager de l’équipe, d’Annick Hayraud, après son élection au comité directeur de la FFR. Samuel Cherouk, entraîneur des espoirs de l’ASM Clermont Auvergne, remplace le duo. Il est accompagné d’Olivier Lièvremont. Lors du Tournoi des Six Nations 2017, l’équipe de France termine à la troisième place derrière l’Angleterre et l’Irlande, avec deux défaites, contre ces équipes. Au mois d’août, la France dispute la Coupe du Monde en Irlande. Les Bleues sortent invaincues de leur poule, où figurent également le Japon, l’Australie et l’Irlande. Elles échouent à se qualifier en finale après une défaite 20 à 3 contre l’Angleterre, mais accrochent la troisième place face aux États-Unis sur le score de 31 à 23. La compétition permet aussi à la France de passer troisième nation mondiale au classement World Rugby et de dépasser le Canada. Dans le Tournoi des Six Nations 2018, les Bleues réussissent le Grand Chelem. Lors de la tournée d’automne, elles affrontent les Blacks Ferns de Nouvelle-Zélande, championnes du monde en titre. Le 9 novembre, à Toulon, les Françaises perdent le premier test (0-14). Mais, le 17 novembre, au stade des Alpes de Grenoble, elles prennent leur revanche (30-27). C’est leur première victoire officielle face aux Néo-Zélandaises. Ce mois-là, quatre françaises figurent parmi les cinq joueuses nommées par World Rugby pour le titre de joueuse de l’année : Pauline Bourdon, Gaëlle Hermet, Safi N’Diaye et Jessy Trémoulière. Cette dernière remporte la récompense. Toujours en novembre, vingt-quatre joueuses signent un contrat fédéral à mi-temps, qui doit leur permettre de libérer du temps pour améliorer leurs performances.
VERS UN RUGBY A PART ENTIÈRE
Les femmes semblent donc s’être fait une place au sein du rugby. Mais, de fait, le rugby féminin ne bénéficie pas de la même reconnaissance que son homologue masculin. Effectivement, les femmes qui pratiquent aujourd’hui le rugby se heurtent encore aux nombreuses résistances masculines. Par conséquent, la pratique féminine de sport est encore grandement déclassée et délégitimée, allant même jusqu’à être considérée comme étant une anomalie. Les discours visant même à affirmer qu’une telle pratique féminine du rugby n’existe pas sont encore monnaie courante.
Mais avec une Équipe de France qui se permet de battre la Nouvelle-Zélande et Jessy Trémoulière du XV tricolore élue joueuse de l’année par le World Rugby : le rugby féminin se porte bien en France depuis quelques années. D’ailleurs, les demandes de licence sont en augmentation à la FFR. S’il a fallu attendre 1989 pour que le rugby féminin soit intégré à la Fédération française, le regard sur les féminines a beaucoup changé depuis. Et il devrait encore évoluer.
Le rugby féminin est à un moment clef de son existence. Ce sont les femmes qui doivent imposer leur point de vue pour obtenir des moyens financiers, structurels et un développement sectorisé du rugby féminin, seul à même d’assurer un maillage homogène des clubs dans toute la France. Il s’agit donc de proposer une solution de proximité pour trouver un club et de proposer un continuum de compétition des moins de 15 ans aux joueuses séniors. Le rugby féminin devrait perdre son adjectif sexuel pour devenir un rugby à part entière, car ce sport est universel. Et tant pis si cela va à l’encontre des idées reçues.
Si vous avez des doutes, venez essayer au moins une fois. En général, on y prend goût.
Ivan GADAY