Sonja Henie, reine de la neige

Sonja Henie, trois fois championne olympique de patinage artistique, dix fois championne du monde, a révolutionnée son sport pour lui donner une dimension esthétique, puis hollywoodienne. Décédée d’une leucémie il y a cinquante ans, elle demeure la plus grande patineuse de tous les temps. Focus sur l’histoire d’une jeune femme hyperactive et prédisposée au destin hors-norme, dont les ambitions de gloire et de reconnaissance ne se sont jamais atténuées.

Née le 8 avril 1912 à Oslo, en Norvège, Sonja Henie a été bénie dès le berceau de tous les attributs dont un patineur pourrait avoir besoin. Son père était un riche vendeur de fourrure et un ancien champion de cyclisme amateur qui encourageait ses enfants à faire de la compétition. Sa mère était disposée à voyager dans toute l’Europe avec elle pour trouver des entraîneurs et des patinoires extérieures. Nous sommes dans les années 20 et dès le départ, la carrière de Sonja Henie est gérée comme une véritable entreprise par sa famille. C’est du jamais vu dans le sport, en particulier pour une fille. Elle quitte l’école pour s’entraîner cinq heures par jour, suivre un régime très spécial (à base de viande crue et d’oeufs tout aussi crus, par lequel elle jurera toute sa vie) et étudier la danse classique lors de stages à Londres avec Tamara Karsavina, une autre ballerine russe. Des tuteurs privés ont été embauchés pour l’éduquer pendant qu’elle se concentrait sur son patinage. 
Son talent étant évident dès son plus jeune âge, Sonja Henie remporte le championnat norvégien de patinage artistique dès ses dix ans. Elle effectue ses débuts olympiques lors des premiers Jeux Olympiques d’hiver, à Chamonix, en 1924. À l’époque, elle n’avait que onze ans et devait sans cesse interrompre son enchaînement de patinage libre par de fréquentes visites sur les bords de la patinoire pour demander à son entraîneur ce qu’elle devait exécuter ensuite. Comme elle était encore une enfant, elle a concouru avec une jupe jusqu’aux genoux plutôt que les vêtements à la longueur du mollet que portaient les femmes plus âgées. Son costume garni de fourrure lui donnait une plus grande facilité de mouvement et elle a effectué certains mouvements qui ont été tout à fait choquants pour le moment, y compris un saut dans un virage assis. Un panel de juges surpris lui a attribué la troisième place dans la partie style libre de la compétition, mais sa piètre performance aux chiffres imposés a fait chuter son score de façon spectaculaire. Elle finira à la dernière place. Loin de se décourager, la jeune fille investit toute son énergie dans le patinage. En 1927, à l’âge de quatorze ans, elle remporte le premier de ses dix championnats du monde consécutifs. Aucun autre patineur n’a dominé le sport autant que Sonja Henie entre 1927 et 1936.

RECORDS ET SUCCÈS DU PATINAGE FÉMININ

Aux Jeux Olympiques d’hiver à St-Moritz, en 1926, à l’âge de quinze ans, Sonja Henie décrocha l’or, six juges sur sept lui accordant la première place. Elle renouvela cet exploit en 1932, cette fois-ci à l’unanimité des juges et devint rapidement si populaire que chaque fois qu’elle apparaissait en public, la police devait être appelée pour maîtriser les foules, aussi bien à New York qu’à Prague. Elle remporte également l’or aux Jeux Olympiques 1936, au cours desquels elle effectua le salut nazi, ce qui souleva une polémique à son retour au pays. L’incident n’entachera pas sa réputation mais lui apprendra à avoir un peu plus de discernement quant à sa conduite en public. Une semaine plus tard, elle s’attribue son dixième titre aux Championnats du monde, établissant ainsi un record qui n’a toujours pas été battu depuis. Elle remporte également six championnats européens consécutifs, de 1931 à 1936.
Avant l’irruption de Sonja Henie sur la scène sportive, le patinage artistique féminin n’était qu’une danse sans âme ou une succession de figures convenues. Avec la Norvégienne, ce sport allait dès lors connaître un engouement qui ne se démentira plus. Elle osa patiner en jupe courte ; son registre se composait de sauts inédits et d’enchaînements artistiques, associés à un charme certain et à une pointe d’humour qui l’aida à conquérir les foules. En outre, elle fut la première à s’appuyer sur une chorégraphie inspirée de la danse pour exécuter son programme lors des compétitions. Les succès de Sonja Henie et son charisme ont donc permis peu à peu à cette discipline de sortir de l’anonymat : tout au long de sa carrière, vingt millions de spectateurs sont venus l’applaudir. On peut affirmer que les triomphes médiatiques que connaîtront des années plus tard des championnes comme Peggy Fleming, Katarina Witt, Tara Lipinski ou Sara Hughes sont en partie dus aux audaces et au talent de Sonja Henie.

LA FRED ASTAIRE DU PATINAGE ARTISTIQUE

Après les Jeux Olympiques d’hiver de 1936 à Garmisch-Partenkirchen, elle se retire du monde amateur et commence une carrière professionnelle en tant que patineuse et actrice. Elle a vingt-quatre ans et un des plus beaux palmarès sportifs existants. Les mauvaises langues disent qu’elle va droit dans le mur. Mais les producteurs ont repéré le filon et se battent pour obtenir son numéro de téléphone. Elle réussit parfaitement sa reconversion, chose rare à l’époque, et devint une femme d’affaires avisée. Hollywood tomba sous son charme et elle tourna dans une dizaine de films. Parmi ses films : Thin Ice (1937) et Sun Valley Serenade (1941). Au plus fort de la Grande Dépression, elle était devenue une star internationale. L’idée d’un film sur le patin à glace peut sembler étrange aujourd’hui, mais Sonja Henie a joué dans un certain nombre d’entre eux. 
Le propriétaire de plusieurs grands stades à travers les Etats-Unis lui offre en 1936 un contrat pour une tournée dont elle sera tête d’affiche, “Sonja Henie Night”. Et les stades se remplissent, aux Etats-Unis comme en Europe. L’année suivante, en 1937, elle a carte blanche pour organiser sa tournée elle-même. Après la mort de son père la même année, elle va prendre l’habitude de tout gérer, chorégraphies, costumes, les patineurs qui l’accompagnent, les lumières, les déplacements. Elle donna de nombreux spectacles sur glace dont les tournées firent beaucoup pour la popularisation du patinage artistique. Elle crée également une ligne de vêtements de ski et de pull-overs, donne son nom à une marque de patins. Sonja Henie, un personnage, et maintenant une industrie. Elle gère tout de main de maître, en particulier sa fortune personnelle qui atteint rapidement des sommets. En une année d’activité professionnelle, Sonja Henie avait gagné plus d’un quart de million de dollars. Elle est devenue millionnaire en 1940, un exploit qui dépasse même les athlètes masculins de sa génération. Avec sa personnalité ensoleillée et son amour évident du patinage, Sonja Henie a popularisé ce sport et a servi de modèle pour les espoirs américains du patinage, y compris Dick Button, Tenley Albright (la première femme américaine à remporter une médaille d’or olympique) et Carol Heiss.
Quand la télévision en direct a commencé à toucher l’industrie du film, Sonja Henie a cessé de faire des films et est retournée à des spectacles itinérants sur la glace. Pendant un certain temps, elle avait sa propre compagnie, Hollywood Ice Revue de Sonja Henie, mais un malheureux gradin s’est écroulé lors de l’une de ses émissions et a provoqué la faillite de l’entreprise. Après cela, Sonja Henie a pu être vue dans d’autres spectacles sur glace et à la télévision. Peu à peu, ses apparitions ont diminué. Elle se retire du monde artistique en 1958 avec le film Hello, London. Sonja Henie accumula une immense fortune, ce qui lui permit de se constituer, en compagnie de son troisième époux, l’armateur Niels Onstad, une magnifique collection de peinture. Au milieu des années 1960, elle développa une leucémie et passa le reste de sa vie à lutter contre cette maladie. Sa mort à Los Angeles, en Californie, le 12 octobre 1969, a privé le monde du patinage de l’une de ses étoiles les plus brillantes. Elle a alors cinquante-sept ans. Par rapport aux normes actuelles, les routines de Henie étaient ridiculement simples, ses sauts étaient loin d’être spectaculaires. Sa contribution au patinage est cependant assurée, car elle combine tous les éléments si importants pour le sport actuel: drame intense, prouesses sportives et puissance de star. 
Ainsi s’en va une championne de son époque devenue légende de la nôtre. Sonja Henie fut trois fois championne olympique (1928, 1932, 1936), dix fois championne du monde (de 1927 à 1936) et six fois championne d’Europe (de 1931 à 1936). Les statistiques indiquent qu’elle a glané 1473 coupes, médailles et trophées au cours de sa carrière. A ce jour, aucune autre patineuse n’a connu une telle carrière, un tel succès. Imaginez le palmarès de Plushenko avec la carrière et la célébrité de Lady Gaga. Sonja Henie, c’était encore un peu plus que ça.


Ivan GADAY

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